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Danièle m’avait donné rendez-vous au café qui fait l’angle de la rue des Archives et de la rue de la Verrerie. Mystérieuse, elle avait ajouté : « Je te dirai pourquoi ». Danièle, la cinquantaine, traductrice de Byron, m’a aidée pour une publication sur Byron et Lamartine.

Je dois dire que je n’aime pas beaucoup m’aventurer dans le Marais. Trop souvent, l’autobus 29 demeure coincé derrière des camions de livraisons. Les trottoirs de ses rues étroites ont tout du parcours du combattant. Quartier pourtant parmi les plus appréciés de Paris en raison de ses superbes hôtels du XVIIIe.

J’ai donc descendu la rue du Louvre, pris le métro jusqu’à Hôtel de Ville et trouvé le Carrefour juste derrière le Bazar de l’Hôtel de Ville, un bistrot dans son jus, inchangé depuis le temps de ma jeunesse. Je m’attendais à plus bobo, bobo de luxe, cela va sans dire. J’ai poussé la porte et cherché Danièle du regard. Elle était juste à ma droite et jouait au flipper. Avant même de me dire bonjour, elle m’annonça fièrement : « Tu comprends pourquoi ! »

Je me trouvais dans un temple pour adeptes de ce billard électrique que je croyais disparu à jamais ! Après avoir refusé la partie qu’elle m’offrait, il y avait quarante ans que je n’y avais plus touché, nous nous sommes attablés devant un café « noisette ».

Danièle est restée enfermée chez elle durant des mois après une grave opération du genou. Elle savourait à nouveau la vie grâce aux clients du café dont elle avait fait sa famille. Les uns étaient des employés du BHV, d’autres des internationaux : un danseur, un metteur en scène, un écrivain… souvent célèbres dans leur domaine.

Les personnages accoudés au bar, d’allure princière en goguette, belles gueules, sirotaient leur café ou leur ballon de blanc en silence. La patronne, une petite femme mince et âgée, cheveux gris serrés dans un chignon, les servait avec gravité.

Danièle m’expliqua que le flipper avait des ratés et que le fils de la patronne était en train d’accueillir le réparateur venu tout exprès de la ville du Mans. Nous l’avons vu relever le plateau et trifouiller dans les multiples connexions cachées sous les lumières et le décor de science fiction. Pendant ce temps, Danièle me raconta les exploits des champions dont elle était devenue une sorte d’égérie.

Elle me présenta le fils de la patronne : « Il est très, très fort. » Elle me cita un score faramineux en centaines de milliers de points. Alors qu’il s’éloignait, elle ajouta, un peu rougissante :

— Quand je prends mon café à la terrasse, il m’embrasse en se penchant vers moi.  Son plateau sur la main, tu te rends compte… !

Je pensai à la prestigieuse course des garçons de café qui traverse chaque année le centre de Paris. Je pensai aussi combien ces bistrots sont le refuge des isolés, des paumés, des originaux. Ils ouvrent des espaces vivants et chaleureux à tous ceux qui souffrent de la déshumanisation actuelle. Ils ferment hélas les uns après les autres, mais Danièle semblait croire à un monde éternel, sauvegardé ici par la passion du flipper.

Il fallait que je parte. Je l’embrassai,  ravie de cette plongée dans un monde que j’avais tant apprécié à différentes périodes de ma vie et sur les terrasses duquel j’aime encore profiter du soleil devant un café.