La grand-messe pascale de Notre-Dame avait été délocalisée à Saint-Eustache à la suite de l’incendie. À 11 heures moins le quart, je me suis donc dirigée vers ce vaste bâtiment, moitié gothique tardif, moitié classique et renaissance, église décriée depuis sa construction pour son manque d’homogénéité, mais dont j’aime la haute nef claire et harmonieuse, réussite du mélange des genres. À deux pas, elle fait partie de notre univers.

Hélas, une queue de plusieurs centaines de mètres, des camions de télévision, une masse de policiers et d’interviewers le micro à la main ne me laissaient aucun espoir d’y rentrer. Je suis donc allée prendre un café à la Pointe Saint-Eustache. Le propriétaire a changé, il l’a jumelé au café d’à côté, installé des baffles qui vous cassent les oreilles et, suprême offense aux anciennes Halles, changé son nom contre un autre plus racoleur. Je suis restée juste dix minutes à observer le manège des médias mêlés au marché du dimanche et je suis retournée vers le porche. Tout le monde n’avait pas pu rentrer, malgré les deux mille places disponibles et chacun cherchait à persuader les vigiles de le laisser passer.

— Au Brésil, des milliers de fidèles s’entassent dans des églises plus petites que celle-ci !

— C’est ma paroisse ! J’habite à côté !

— C’est mon grand-père qui a fait les vitraux !

— Une honte ! Il y a encore beaucoup de place…

Cette dernière, la soixantaine élégante, cheveux ultra-courts, très bronzée était la plus virulente. Le vigile répondit :

— Question de sécurité ! L’église est bourrée de caméras, de fils électriques, de prises de son. Beaucoup trop dangereux ! Ça prend tout le fond de l’église.

La femme protesta plus vivement encore :

— Je m’y connais, je travaille à France Télévision. Il n’y a jamais eu d’incident !

Le visage fermé, elle essaya de passer sous le porche, comme si sa fonction la plaçait au-dessus du vulgum pecus. Y parvint-elle ? Je ne saurai répondre, car j’observai des touristes attirés par l’événement. Une femme entendant le flot de l’orgue s’écouler demanda le silence, comme on saisit les bribes d’un festin auquel on n’est pas convié.

— Retournez devant votre télévision, dit le vigile, vous verrez tout.

Sage conseil ! Je rentrai chez moi. Au feu de la rue du Louvre, je vis la femme dont le grand-père avait réalisé les vitraux . Elle me raconta avec un charme délicieux son enfance dans l’intimité des églises parisiennes. Et c’est de bonne humeur que je me suis installée dans mon fauteuil et que j’ai assisté à la cérémonie concélébrée par les prêtres de Saint-Eustache et le cardinal chassé de Notre-Dame.

Oui, j’en voyais davantage que si j’avais été au milieu des milliers de fidèles, mais ce n’était pas tout à fait pareil…

Le pape, quelques minutes plus tard, prononça les mots de sa bénédiction urbi et orbi. Dans mon enfance, nous la recevions en communion avec les catholiques du monde entier à genoux devant la radio.