Paris, un samedi ordinaire. Le matin, deux étranges conférences sur les correspondances de Madeleine Follain, la fille du peintre nabi Maurice Denis, d’une part avec son mari, le poète Jean Follain, d’autre part avec le poète rescapé du génocide arménien, Armen Lubin. Par volonté féministe, elle ne vivait pas avec son mari, et n’a guère rencontré cet ami contraint de supporter une existence horrible dans un sanatorium horrible, crucifié par une tuberculose osseuse de la colonne vertébrale. Elle entretenait avec eux des lettres pleines de vie, d’anecdotes savoureuses dont il ne reste que celles qui lui étaient adressées. Ange gardien dirait l’un, bonne poire dirait l’autre, elle tirait son plaisir de cette très riche correspondance.

Après un déjeuner rapide, mais passionnant avec des participants à la conférence, je me suis rendue à l’atelier par le tram du boulevard extérieur. Il a le mérite de rouler à l’air libre sur une pelouse entre les arbres.

Le soir, je suis rentrée par le métro en pestant contre la foule qui s’y pressait. Comme si la RATP ne pouvait pas faire l’effort de mieux accueillir la masse de banlieusards et de touristes du samedi ! À la station Richelieu-Drouot, il se fit un remue ménage et la rame ne redémarra pas. J’entendis des voix « Pickpockets ! Regardez dans vos sacs, dans vos poches ! » Au début les étrangers ne comprenaient pas, mais entendant répéter le mot et voyant les gestes autour d’eux, ils ouvrirent fébrilement leurs sacs à dos, opération malaisée dans cet espace bondé. Les coudes s’entrechoquaient, la situation s’éternisait. Je décidai de m’éclipser et je me glissai comme je pouvais vers la porte avec l’étrange impression de fuir comme une voleuse.

Les issues du quai étaient bloquées et des policières en civil fouillaient deux jeunes filles. Ces pickpockets sont facilement repérables, longs cheveux bruns, faux air bourgeois, on les voit en groupe écumer le métro à longueur de journée. Assez arrogantes lorsqu’elles ne « travaillent » pas, elles crient fort, s’étalent sur les sièges comme si elles étaient seules au monde. Mais ce jour-là, j’ai eu la surprise de leur voir un tout autre visage. Une policière disait gentiment, mais fermement  à l’une d’elles :

— Tu as essayé ? N’est-ce pas que tu as essayé ?

On pourrait donner dix-huit ans à ces filles délurées, mais devant la jeune policière, queue de cheval blonde, jean élégant, la voleuse se métamorphosa en une petite fille d’une douzaine d’années, au visage candide et embêté, un peu comme une pensionnaire coincée loin de chez elle en mauvaise posture. Elle ne semblait pas avoir peur, probablement consciente de ne rien risquer. Mais curieusement, je ne pus m’empêcher de penser qu’elle sollicitait la protection, et surtout l’amitié, de la belle policière. Elle répondit par un hochement de tête, un « oui », décidé et grave qui me laissa perplexe, comme si elle voulait impérativement lui faire savoir qu’il ne dépendait pas d’elle de se trouver du côté des voleurs.

Descendus sur le quai, des Chinois regardaient la scène avec stupéfaction. Le métro n’était pas encore reparti lorsque j’ai pu monter les escaliers vers la sortie.