mdr-carmel_du_reposoir-4Elève brillante, elle avait commencé une licence de mathématiques. Reçue première de la région,  elle avait annoncé à ses parents qu’elle voulait arrêter et faire des études d’infirmière. Dotée d’un fort tempérament, elle avait eu gain de cause. Après une ou deux années de pratique, elle était entrée au Carmel du Reposoir.
– Tu ne te souviens pas que nous faisions du patin à roulette à côté de chez toi ?
Les patins à roulettes ont laissé remonter des impressions, car elle me répondit, songeuse :
– Parfois la chimiothérapie détruit les bons neurones.
Je lui demandais si ses études d’infirmière lui servaient à quelque chose, elle me répondit comme si la question était accessoire :
– Nous soignons les plus âgées, ce qui prend beaucoup de temps, mais ne demande pas de connaissances particulières. Quand on m’a appelée, j’étais en train de faire la toilette d’une sœur alitée. D’ailleurs, il faut que j’y retourne.
Je l’ai un peu retenue, peut-être pour percer l’énigme de la voir si heureuse d’un sort pour le moins austère :
– Tu as été prieure ?
– Oh non ! Ce n’est pas du tout mon genre !
Revenant au présent, elle s’informa un petit rien de curiosité dans la voix :
– Et le Carmel de Pontoise ? On dit qu’elles vont en partir.
– Mon frère Marc fait partie de son conseil d’administration, il m’a dit qu’elles veulent partir. La ville est devenue très bruyante!
Elle eut un sourire simple et heureux. Elle étendit les bras vers les montagnes.
– Ici, on est bien ! On est près de Dieu !
Et la cloche a retenti.
– On t’appelle ! ai-je dit en plaisantant.
Elle a répondu sérieusement, avant de se lever :
– Non, mais il faut que je termine la toilette. Ensuite, je vais chanter !
D’évidence, cette dernière phrase exprimait l’essentiel de sa vie, sa raison d’exister.
Je l’ai quittée en la remerciant, peut-être un peu trop, car elle n’avait pas demandé de mes nouvelles et ne m’avait pas remerciée de ma présence. Je l’ai vue s’éloigner en clopinant sur sa canne, comme si notre rencontre n’avait été qu’une parenthèse sans grand intérêt.
(à suivre)